Mardi 10 mars dans un bar new-yorkais, une tête bouclée 'germanicaine' se penche en nous entendant parler français. Son visage se couvre d'un large sourire, il adore la langue française, les garçons français... - nous rencontrons Anthony. Un peu plus tard dans la soirée il tient à me présenter à son ami français à lui, "assis là-bas". Je maugrée pour la forme, dans une vaine tentative pas tout à fait assumée de rencontrer le moins de Frenchies possible à New York. Mais au fond je les aime bien ces nouvelles rencontres, quelle que soit leur nationalité. Me voilà donc présenté à William, sereinement assis sur le patio, vêtu d'un élégant manteau d'hiver, la cigarette à la main. William est impressionnant durant la première dizaine de minutes de la rencontre, un mélange de timidité et de distance qui passe facilement pour de l'arrogance. Puis les langues se délient et les sourires s'élargissent.
Presque dix-sept semaines plus tard, dimanche 5 juillet, Anthony est en larmes dans un ascenseur d'un bel immeuble du Financial District. Nous remontons chercher des affaires que William nous a laissées, après l'avoir aidé lui et ses géniales colocataires à descendre leurs bagages; après les avoir embrassés et les avoir foutus dans un taxi en partance pour JFK. De là, leur vol retour pour Paris. Anthony a fait bonne figure au moment des embrassades. Dans l'ascenseur il craque.
Pour pallier à la sensation d'étouffement je suis alors allé marcher deux heures dans Central Park, et c'est là que ma gorge s'est dénouée et que mes larmes à moi ont pu couler. Je n'aime décidément pas les "au revoir". Et pourtant, William, je le reverrai vite justement. La fin de l'été arrivera en un claquement de doigts et je serai à mon tour de retour à Paris.
Il s'agit en fait là d'une autre tristesse, différente de celle que l'on éprouve lorsque des amis (voire davantage que des amis) vous rendent visite et puis s'en vont, et ce même si les implications sentimentales peuvent là être parfois plus fortes.
William s'en va, et avec lui un pan de notre vie new-yorkaise. Ce que nous avons vécu ensemble ici, plus jamais nous le revivrons, et c'est cette bulle définitivement éclatée qui nous serre le coeur.
Nous sommes arrivés ici en même temps, avant de nous rendre compte que nous avions déjà vécu en Californie exactement au même moment sans jamais nous y croiser.
Ces quatre mois new-yorkais avec lui ont été emplis de sorties, de balades et de soirées. Des après-midi shopping, des brunches et des dîners, des escapades dans le Massachusetts et le New Jersey, des spectacle et concert... et puis toutes ces soirées. Sans compter les innombrables tentatives de ses colocs pour que nous finissions ensemble. Mais nous n'avons jamais failli à notre amitié.
Une amitié entre expats est toujours particulière. La rencontre est souvent brusque, et en partant de rien tout se construit très vite - car le temps est compté, et les amis souvent moins nombreux qu'à la maison. On se voit donc partout, tout le temps, et la proximité se met en place très rapidement. Le risque, c'est cette sensation de penser connaître extrêmement bien quelqu'un en très peu de temps - avant parfois de tomber de haut au détour d'une discussion inhabituelle ou de la soirée de trop (la septième de la semaine par exemple, la saturation.)
Rien de cela n'est arrivé avec William. Notre qualité d'échange ne s'est jamais départie de sa sincérité originelle, et n'a jamais été sacrifiée ou bafouée. C'est assez rare dans ces conditions particulières de moments de vie temporaires à l'étranger pour que je veuille le souligner.
Je sais que je vais le retrouver, et que tout cela s'en trouvera sans doute renforcé. Mais en attendant, je maudis ce temps qui passe si vite, et je marque le coup pour honorer cette bulle-là, de quatre mois précisément, qui est déjà du passé.
Un clin d'oeil appuyé pour William qui a été le plus enjoué des lecteurs de ce blog récemment.
Anthony et moi allons continuer à nous amuser, à profiter, oui. Mais désormais, c'est véritablement amputés que nous parcourrons cet été. Un trio inclassable, infernal et improbable, à deux ça ne fonctionne pas.
Anthony qu'il vous faudrait d'ailleurs entendre déclamer en toute sincérité, et dans son bel accent français, qu'il est "désenchanté". Désenchanté d'avoir perdu un de ses petits Français new-yorkais, ceux qu'il gratifie systématiquement et toujours avec l'accent d'un tonitruant "Salut salope!" pour les saluer.
Avant de repartir au ryhtme du soleil new-yorkais moi aussi je suis désenchanté.
Et je pense très fort à notre William, la plus belle de toutes ces salopes.