jeudi 24 juin 2010

Just dance

Le nouveau blog est arrivé.



samedi 19 juin 2010

Lisez-moi jusqu'au bout du monde

Outre-Manche pour commencer. Puis en Asie, en Australie, partout en Europe, en Afrique, en Amérique... Je voulais un tour du monde ? Je l'ai, il arrive. Et rémunéré. Et cultivé. Je travaille à Londres pour préparer la tournée d'un spectacle de danse contemporaine - nous nous envolons en septembre.


Non seulement c'est très très chouette, mais c'est aussi l'occasion pour moi d'entériner mes envies d'écriture. Après trois ans sur ces douces pages (et vous comme moi nous abstiendrons de tout commentaire sur le temps qui passe, vite) j'ai envie d'offrir à cette nouvelle expérience qui s'ouvre là, devant moi, un écrin en quelque sorte plus officiel, plus professionnel. Un quatrième blog, parfaitement. Des chroniques dansantes, du bout du monde et du bout de moi-même.

Ceci est le 178e et dernier post de Tribulatorium.

Merci pour vos 27 438 visites, merci de continuer à me lire - la suite des aventures, c'est tout de suite.
Le lien arrive, ces jours prochains. Stay tuned.

mercredi 9 juin 2010

Nous mourrons

C'est du futur simple. Nous le savons, que nous mourrons.
Pourtant je suis terrifié par la mort. Et c'est récent. Avant je m'en moquais. Désormais elle m'angoisse terriblement, le soir dans mon lit.

Il y a l'aspect narcissique des choses. Je ne crois en rien après la mort. Nous disparaissons, nous n'existons plus jamais. C'est le néant éternel. Difficilement concevable pour nos esprits bornés. Pourtant j'y crois dur comme fer. Et l'idée du rien pour toujours, de ma non-existence à venir, me terrorise.
Plus légitime, il y a l'angoisse terrible de perdre les gens qu'on aime (le mal-être qui en découle pourrait être lui aussi rattaché à une certaine forme de narcissime - mais ce soir là n'est pas la question.) Je vieillis, et comme nous en discutions il y a peu avec des amis, les situations de mort autour de moi vont être de plus en plus fréquentes, j'en suis conscient.
Enfin, cet éphémère, cette relativité... tournent tellement de choses en ridicule. Fi des clichés, je ne peux simplement pas me résoudre à compliquer la vie plus qu'elle ne l'est déjà, tout comme je ne puis me résoudre à gâcher des moments, à ne pas profiter du paroxysme de tout et de chacun, partout, tout le temps.

Profiter pour soi, c'est pour moi une forme d'altruisme. De celles qui nous font dire, lorsque l'on perd quelqu'un qu'on aime, que cette personne a eu une belle vie. Qui ne nous ôte aucune tristesse mais nous rassure sur l'existence accomplie et épanouie de cette personne. Je crois que je veux quelque part que l'on se dise quand je mourrai que j'aurai pris tout ce qu'il y a à prendre. J'aurai beaucoup donné aussi. Mais en tout cas personne ne sera désolé pour moi. On sera triste, mais les choses se passent, sont ce qu'elles sont. Je serai mort, ce sera un fait inaltérable, et il faudra composer avec cette idée en gardant à l'esprit que ma vie aura été belle. Tout cela est toujours très narcissique.
Mais pas seulement. Saisir chaque seconde, chaque opportunité, c'est une forme de générosité, je crois.

Toi, tu as été tellement généreuse que ce ne sont que des images éclatantes qui me viennent à l'esprit alors que je pense a toi. Toujours ce sourire qui embrassait le monde entier, ce rire tonitruant qui embrasait nos assemblées. Tu as vécu des choses terribles, vraiment, et tu ne t'en cachais pas, mais tu avais toujours un recul sain et serein pour les évoquer, et tu ne te départais pas de tes étoiles dans les yeux. Jamais je n'ai senti chez quelqu'un d'autre un tel désir de vie, un tel appétit pour le simple bonheur. Ton affection, ton amour ont toujours été entiers et limpides. C'est tout cela que j'appelle ta générosité. Tout cela qui me retient, je crois, de trop sombrer, alors qu'à ton tour tu es partie. Comme ça, sans prévenir, presque sur un coup de tête.
Quand je pense à toi, je n'ai que des bons souvenirs. Oui, merci du fond du coeur pour cette générosité.

Tu vas beaucoup me manquer.

samedi 29 mai 2010

La vie parisienne

Me voilà à Londres. Il fait beau et chaud, de moins en moins jour après jour mais on se raccroche à ce qu'on peut.

L'autre matin j'ai vu une voiture en accrocher une autre assez méchamment. Ça m'a rappelé à ma pauvre condition de Frenchie : je ne sais jamais de quel côté de la route je dois regarder pour traverser. Dans le doute je regarde toujours des deux, mais le reflexe prédominant demeure de regarder à gauche comme si les voitures roulaient à droite, alors qu'il faudrait que je regarde à droite car elles roulent à gauche.
C'est comme le cours de la livre par rapport à l'euro : impossible de me foutre dans le crâne que ça n'est pas la même monnaie, du coup je trouve tout soudainement très peu cher - ce qui n'augure rien de bon au vu de mes piètres qualités de fourmi.

Le week-end dernier avant de partir, mes amis m'ont fait l'honneur de leur présence et de leur humeur gaie dans la demeure familiale en banlieue, incidemment pourvue d'une piscine. Quelques piliers essentiels manquaient, mais le gros des troupes était là. J'y ai appris que les soirées de départ réussies ôtaient toute envie de partir.
Pourtant je commence à être rompu à l'exercice, en toute humilité. Et géographiquement parlant, après Los Angeles et New York, Londres c'est du pipi de chat.

Absolument. En même temps, c'est un vrai job, sur la durée, et qui me fait passer au moins toute l'année 2011 dans une valise. À ne pas vraiment voir ces essentielles personnes. Après huit mois à leur chevet ça n'est pas rien. Ça déchire un peu le coeur quelque part, il faut bien l'admettre.
Je trouve que j'ai fait un choix très excitant en acceptant ce travail. Mais moins facile qu'il n'en a l'air de prime abord, je tiens à le dire. Un choix qui met de la poudre aux yeux, une opportunité qu'il ne fallait pas rater et que j'ai saisie, mais pour laquelle il va falloir s'accrocher.

Pour ceux qui ne comprendraient pas de quoi je parle, restez aux aguets, un nouveau blog dédié à cette nouvelle aventure est under construction. Gageons que dans quelques semaines je m'y épancherai sur tout le fun estival londonien dont je profiterai, et sur mon excitation à faire ce tour du monde dansant ces prochains mois.

D'ici-là je râle contre les affres administratives d'une énième nouvelle installation, compte en banque, sécu et consorts.
Et la non mois fameuse, prise de tête et stressante quête d'appartement. Débutée avec une Française qui m'a payé un verre après la première visite et un propriétaire qui m'a ramené en voiture, achevée à l'instant où je vous écris : je viens de poser mes valises at home, sweet home, près du parc de London Fields, à quelques mètres de Broadway Market et quelques minutes de Brick Lane. J'irai au bureau en longeant un canal, à pied ou à vélo.

Le travail, parlons-en. Tout va bien. J'avais oublié à quel point il était épuisant de travailler. Je ne vous parle même pas d'un rythme intense, mais de rythme tout court : cette simple reprise en tant que telle m'a complètement mis à plat. Pour me consoler, la seule chose qui traînait sur mon bureau à l'arrivée était un exemplaire du dernier Têtu. J'ai beau savoir qu'il y a un portrait du boss à l'intérieur, le trouver sur mon bureau à moi m'a fait esquisser un sourire.

Cheers!

mardi 4 mai 2010

Je suis homosexuel

Ceci n'est pas un coming-out.

Mon coming-out, je l'ai fait il y a trois ans. Avant ça pour certains, ensuite pour d'autres. Mon attirance pour les garçons n'est un secret pour personne. Si d'aventure vous l'ignoriez, désormais vous le savez. Voilà, c'est comme ça que cela doit se passer, sans remous, une simple information à engranger, à toutes fins utiles. Un truc tout con dont on se fout outre-mesure. L'indifférence qu'on porte à un détail, ce détail qui ne fait aucune différence.

Pourquoi ce post ? Parce qu'évidemment dans la vraie vie on est loin, très loin, trop loin de cette simplicité. Les agressions homophobes sont légion, d'une insulte dans la rue à la violence physique la plus abjecte, en passant par deux femmes, deux hommes qu'on empêche de s'embrasser. Comme pour mieux régresser. Continuer à se voiler une réalité, simplement une réalité, un fait des choses qui pourtant finira par exister en pleine lumière. Un fait des choses qui, rappelons-le, n'est pas un choix. Un fait des choses qui lorsqu'il suscite gêne, embarras ou haine, ne fait que nous renvoyer à nos heures les plus sombres, aux éternels clivages drainés par la différence, qu'elle soit culturelle, religieuse ou sexuelle. Les clichés sont là pour durer.

Nous sommes en 2010 et une mise au point s'impose. En l'occurrence celle publiée par Bertrand Delanoë sur son blog il y a une dizaine de jours :

Différence et indifférence

23 avril 2010

"Un militant de l’égalité et du respect est mort. Jean Le Bitoux, qui fut, avec Michel Foucault, l’un des inspirateurs du journal Gai Pied, vient de quitter ce monde qu’il aura tellement travaillé à changer. Témoin des années radicales, qui ont vu de courageux pionniers défier une société figée, il aura, en particulier par son travail de mémoire, accompagné un mouvement profond de la conscience de notre pays.
Quand une cause perd l’un de ses plus ardents défenseurs, c’est le moment de faire un point d’étape, de mesurer les avancées, le terrain conquis, peut-être le terrain perdu, l’histoire qui est faite et celle qui reste à faire.
Et la vérité, c’est que beaucoup reste à faire. Songeons à ces pays, si nombreux, où l’homosexualité est toujours considérée comme un crime, puni de mort, à ces jeunes pendus en Iran, ou décapités en Arabie saoudite, coupables d’être ce qu’ils sont. Rappelons-nous aussi qu’en Russie, en 2010, tout rassemblement homosexuel est encore interdit.
Mais sans aller si loin, voyons où en est la France : on peut se demander si nous ne sommes pas entrés dans une triste période de régression silencieuse. Il y a quelques semaines, de jeunes homosexuels ont été frappés, en pleine rue, au cœur du quartier du Marais, à Paris. Voici quelques jours, sur le parvis de Notre-Dame, des couples ont été violemment pris à partie parce qu’ils avaient osé s’embrasser. Plus récemment encore, dans notre ville, les locaux d’une association de lutte contre l’homophobie ont été vandalisés. Dans l’Essonne, c’est un couple de jeunes femmes qui est obligé de déménager pour échapper aux insultes et aux outrages de ses voisins. Et la presse de ce matin rapporte cet acte d’une incroyable barbarie commis il y a un an dans la Nièvre : deux homosexuels ligotés, bâillonnés et enterrés vivants au bord de la Loire… Cette liste est longue, propre à lasser l’attention d’un lecteur pressé. Elle pourrait être plus longue. Mais elle aurait pu aussi être tellement plus courte….
Tout se passe comme si une nouvelle chape de plomb descendait, lentement, inexorablement, avec la morgue des intolérances sûres d’elles-mêmes et de leur histoire. Parfois, ce sont les religions qui y contribuent, en sacralisant des normes ou en alimentant des amalgames : il y a quelques jours, le porte parole du Vatican établissait ainsi, du haut de l’autorité morale qu’il exerce sur plus d’un milliard d’êtres humains, un lien entre homosexualité et pédophilie. Cette somme de méconnaissance, d’ignorance, de ressentiments et de préjugés, pèse lourd, et en profondeur, sur nos sociétés fatiguées. Des esprits trop faibles ou trop dociles peuvent être perméables aux discours de la haine : Jean-Marie Périer, dans un livre bouleversant publié cette année, évoquait la détresse de ces adolescents chassés de chez eux par leurs parents, pour la seule raison qu’ils sont homosexuels.
Au nom de ces enfants humiliés, travaillons à construire une société où ils aient leur place. Les homosexuels ont été confrontés à toutes les souffrances du rejet, de la peur, de la honte, du secret. Ils ont traversé – et traversent encore- des épreuves inouïes, notamment celle du sida, qui les a touchés violemment, au moment précis où ils avaient cru avoir enfin, et à quel prix, conquis le droit à une certaine insouciance. Ils ont droit, aujourd’hui, à la liberté d’être.
C’est Jean-Louis Bory, cet éclaireur des luttes pour l’égalité, qui déclarait en 1979: « Tout ce que je demande, c’est que vous me laissiez vivre. Parce que je représente une part extrêmement vivante de la vie… »
Une société est faite de différences. Et son degré de civilisation se mesure à sa capacité de regarder ces différences avec indifférence. Nous en sommes encore loin."


Ce texte doit être lu, il parle pour lui-même.

C’est un peu une question-piège, ce post. À l'envie de principe de lutter contre les catégorisations excessives et le déballage de ce qui relève aussi de l’intimité le dispute donc le besoin de revendiquer une bienveillante indifférence qui est encore trop rare.
On veut me glisser "ça" sous la peau au même titre que ma blondeur, mes obsessions et ma pilosité, mais vous me définirez pourtant comme "ça", comme pédé, pas comme blondinet obsessionnel poilu. (Au mieux comme pédé blond obsessionnel poilu.)

Sans doute est-ce une forme d'avancée générale dans l'esprit collectif que des polémiques telles que celles engendrées par le court-métrage visant à lutter contre l'homophobie à l'école ou le kiss-in parisien sur le parvis de Notre-Dame pénètrent si loin l'espace public. Mais bon nombre des réactions suscitées ne sont que pathétiques, en restant systématiquement au degré zéro de la réflexion.

Il y a quelques jours, je prenais un verre avec un de mes nouveaux collègues. La discussion est vite arrivée sur un terrain personnel. Je savais que sa copine attend leur premier enfant. Il m'a simplement demandé si j'avais de mon côté "a partner". J'ai répondu par la négative. Il a très naturellement enchaîné : "Would it be a girlfriend or a boyfriend?" Ma réponse a été encore plus naturelle.

Oui, être homo c'est tomber amoureux et se ramasser la gueule tout pareil que les hétéros. D'ailleurs, assez de catégorisation. On tombe amoureux, on se ramasse la gueule (ou pas), filles, garçons, qu'importe. Sérieusement.

Être homo c'est différent d'être hétéro, aussi. Personne ne le nie. Mais ça n'est pas grave, c'est comme ça. On s'en fout. Vous comprenez ? Je vous en prie, faites un effort.

Malheureusement nous en sommes encore à un stade où la visibilité de cette "communauté" qu'on s'efforce de fondre dans la masse est importante. Où cette visibilité est nécessaire, primordiale, pour que cessent la haine la plus forte, le rejet le plus violent, la stupidité la plus banale.

Je dois le dire. Vous devez l'entendre : je suis homosexuel.

lundi 19 avril 2010

Volcan coquin


Au-delà de la crise du secteur aérien, des complications infinies engendrées et du ras-le-bol des gens coincés à Tokyo, à Miami ou même à Paris, l'éruption du volcan Eyjafjallajökull en Islande est pour moi la nouvelle la plus surréaliste depuis longtemps. Son dernier réveil date d'il y a 187 ans, et que ce phénomène naturel qui prend place sur une île reculée dont personne ne parle jamais paralyse ainsi indéfiniment l'Europe toute entière me souffle complètement. Nos belles sociétés modernes sont donc à la merci de quelques cendres, et cette situation incroyablement problématique revêt encore une fois pour moi un charme suranné dont je ne me suis pas encore lassé.

Si tu vas à Rio

"Se eu usar mãos, é porque o amor é cego." / "Si j'utilise les mains, c'est que l'amour est aveugle."
Proverbe brésilien




Il y a des petites habitudes dont on ne se lasse pas, dont on sait qu'elles rendent jaloux, mais dont ne pas profiter relèverait de la bêtise pure et dure. J'ai eu beaucoup de temps libre ces derniers mois, et j'ai assez souvent accompagné mon père en voyage. Cette semaine, nous avons passé trois jours à Rio.
Le Brésil est un fantasme chez moi depuis de longues années, sans que j'en identifie véritablement la cause - tout au plus ma rencontre avec C. il y a deux ans a-t-elle renforcé mon désir de le découvrir.
Trois jours c'est court, mais l'excitation le dispute à la frustration, l'intensité à la brièveté.




Il fait chaud, cet air moite des Tropiques qui ne vous lâche pas. Nous allons nous gaver dans un rodizio, ce restaurant à la formule unique : buffet à volonté plus des dizaines et des dizaines de morceaux de viandes que les serveurs vous proposent les uns après les autres à votre table, que vous acceptez ou que vous refusez. Un petit carton rouge d'un côté vert de l'autre vous sert à leur indiquer si vous en voulez encore ou non. Le tout arrosé de caïpi, avant, pendant, après. Il est quatre heures du matin en France, nous ne tenons plus, d'autant que le lundi soir n'est pas le moment le plus festif de la semaine, même à Rio - dodo.

Petit déjeuner sur la terrasse de l'hôtel, à la pointe de Copacabana, côté Ipanema. Le soleil tape, la vue est jouissive.
On se met en route le long de la plage, on remonte vers le nord, admirant les vieux qui volleyent (peu de foot, étonnamment), les pauvres qui font des châteaux de sable et les vendeurs à la sauvette qui vendent à la sauvette. On paranoïse un chouilla sur les recommandations sécuritaires : pas d'objet de valeur ostensiblement en vue - les histoires fréquentes d'agression font un peu froid dans le dos.
Nous empruntons le métro, propre, moderne et à l'épreuve de toute forme de parisianisme : les Brésiliens se parlent, communiquent sans se connaître. Nous bénéficierons de cette chaleur et de cette gentillesse, en permanence, comme ce beau jeune homme qui spontanément nous indique notre chemin sans que nous lui demandions de l'aide, simplement parce qu'il nous voit empêtrés avec nous-mêmes.





Oui, les Brésiliens sont beaux. D'une beauté absolue, totale, renversante, unique.
Plus tard ce jour, après avoir pris le "bonde", petit tram jaune typique, qui nous a conduits du Centro (en reconstruction pour le Mondial 2014 et les JO 2016) à Santa Teresa, quartier perché aux manoirs abandonnés qui mène droit aux favelas, où les coulées de boue et les éboulements sont bien visibles, et où une jeune fille nous voyant marcher d'un bon pas nous recommande assez fermement dans un anglais approximatif de rebrousser chemin avec nos bonnes têtes de "gars pas d'ici"... Après nous être perdus dans Santa Teresa donc, après avoir savouré les couleurs de Lapa... Plus tard ce jour, après ces délices brésiliens les yeux grand écarquillés, nous arrivons, difficilement, le long d'une voie rapide, au Pain de sucre.

Et je vous parlais de la beauté brésilienne. La beauté des Brésiliens. Pas de ce petit singe étrange en voie de disparition qui saute de table en table. Plutôt de ce vendeur de bijoux en costume que je mate, absolument pas discrètement, pendant que mon père achète à manger. Je me rends aux toilettes derrière la boutique, subtil déplacement qui me permet de passer devant la vitrine et de décocher ce que j'espère être un sourire mutin irrésistible. Je ne pensais pas être aussi doué en la matière, en tout cas le jeune vendeur me suit aux toilettes. L'espace d'une seconde, je nous vois faire sauvagement l'amour dans l'une des cabines exiguës. Mais nous ne sommes pas seuls. Je sors et l'attends devant la porte en faisant mine d'admirer la vue. Le voilà qui sort à son tour et s'accoude également à la rambarde, l'air de rien. J'engage la conversation : "What time is it?" A son tour de décocher un sourire brésilien à tomber par terre. Nous discutons avec D. des banalités inhérentes à ce genre de rencontre, avant que je lui demande de me sortir le soir, mon "dernier soir"... Il accepte, rendez-vous est pris.

Au Pain de sucre, les Français sont partout, c'est effrayant, mais tout heureux d'avoir déniché mon Brésilien du séjour et des perspectives de la soirée, je ne râle même pas, alors que je suis plutôt d'habitude d'une mauvaise foi totale à ce sujet et que j'exècre les nids de Français à l'étranger.


Il fait nuit, nous sirotons les habituelles caïpirinhas dans une guérite de Copacabana, sur la plage. Un club de natation danse et chante bruyamment pour célébrer son premier anniversaire. Des Brésiliennes que je ne qualifierais pas de jolies mais encore une fois chaleureuses nous invitent dans la danse. C'est l'hilarité générale, de notre côté comme du leur. La ronde est un peu barrée - surtout je ne comprends pas un mot de portugais et elles ne parlent pas anglais. C'est frais, c'est amusant, c'est une jolie rencontre. Je suis surpris de voir peu de plantureuses beautés féminines proches des clichés, mais plus des femmes grassouillettes qui me font penser à beaucoup de Mexicaines en Californie.

Aussi, au Brésil il est traître de se rendre compte que la majorité des gens que vous rencontrez comprennent parfaitement l'espagnol, mais ont systématiquement ce regard déçu ou réprobateur de voir que vous ne parlez pas leur langue. Ainsi chez moi la facilité de s'exprimer dans la langue ibérique laisse place à un trop fort sentiment d'inconfort et je préfère marmonner des bribes d'un semblant de portugais mâtiné d'anglais, par respect pour eux.
Le lendemain matin, notre chauffeur de taxi s'échinera à s'exprimer très fort en portugais, et nous nous obstinerons à répondre en français, prétendant chacun de notre côté comprendre ce que l'autre dit.

Mais retour au mardi soir : après les caïpis et la danse sur la plage j'abandonne mon père et ses collègues à leur dîner, j'avale un misérable club sandwich au bar de l'hôtel et je retrouve mon date, puisqu'il a tout l'air d'en être un. Très original, à nouveau caïpis sur la plage. Nous discutons. Pas de mystère, nous sommes gays tous les deux (quelle surprise !), même si D. n'a pas l'air très à l'aise sur ce sujet. Il me demande comment "ça" se passe en France, me confie que son petit frère est gay aussi, qu'ils vivent avec leur mère au nord de la ville. Il m'explique aussi que son seul salaire les fait vivre tous les trois.
Les choses étant mises au clair, nous nous dirigeons vers la seule boîte gay ouverte un mardi soir, celle-là même que mes amis me déconseillaient absolument. Mais nous faisons avec ce que nous avons. Le Boy est un grand endroit à la musique pas franchement palpitante. Je n'ai qu'un bref aperçu de la population, au bout de cinq minutes nous nous embrassons goulûment sur un canapé comme deux collégiens en rut. Nous y passons toute la soirée.
Il vit chez sa mère, je dors avec mon père, nous devrions nous arrêter là. D'autant que je m'effondre peu à peu dans ses bras, un mélange d'alcool, de fatigue et de bien-être. Notre besoin réciproque de câlinements, qui s'exprime si naturellement malgré les différences de culture et de langue, me fait fondre d'attendrissement. Mais il finit par me raccompagner à l'hôtel et je m'en trouve revigoré, je décide que nous ferons l'amour sur le sol, derrière le bar de la piscine. Lui qui est natif de Rio et un peu plus âgé, qui avait pris les choses en main jusque là, se retrouve tétanisé. "I'm so nervous, I'm so nervous!" Je le rassure et je l'embrasse encore.

Le mercredi matin, le survol de Rio en hélicoptère est bluffant, surtout son apothéose, lorsque nous ne sommes qu'à quelques mètres du Corcovado, le Christ rédempteur de 38 mètres de haut qui domine la ville. D'autant plus apprécié que l'accès à la statue est condamné depuis les intempéries de la semaine précédente.


La conclusion de ce mini séjour se fait au creux des vagues, en "eaux dangereuses", la signification d'Ipanema. Les courants sont impressionnants, mais l'eau est chaude, et la sieste sur la plage un délice dont on ne peut décemment se lasser. Nous buvons notre délicieux açaï com banana et nous nous préparons pour le vol retour.

Les hommes sont beaux, certains qui ne remarqueraient même pas mon existence en France se retournent pour me regarder, je me souviens de ce que C. disait à propos du succès des Français au Brésil. Et bien c'est parfait, je suis prêt à épouser un Brésilien.

Dans le bus qui nous conduit à l'aéroport, je ne peux m'empêcher de penser à l'accident du vol Rio-Paris de juin dernier. Même vol, même avion. Petite bouffée d'angoisse en imaginant ces passagers se préparer à l'embarquement comme nous, sans se douter du sort tragique qui les attend quelques heures plus tard. Je décide d'adopter un comportement brésilien : les 200 morts dans les favelas à cause des intempéries ont choqué les Cariocas (doux patronyme des habitants de Rio), mais ils continuent de rire et de danser. Pas d'apitoiement, pas de misérabilisme. Ils ont bien raison.


Comme à chaque voyage, les pensées s'égarent dans une douce mélancolie (la saudade), et je me fantasme retournant là-bas avec mes amis.
Après le décollage, assis dans le cockpit que seuls les multiples boutons de contrôle éclairent, enveloppé dans l'encre noire de la nuit et bercé par le ronflement de l'avion qui la traverse sereinement, je colle mon front au hublot et je regarde les étoiles. Mes yeux se perdent dans l'infini sombre du ciel, la sensation est incomparable.

Puis brusquement les pilotes rallument la cabine. Les moments de joie ne durent jamais.
Je vais apprendre le portugais.