Si tu vas à Rio
"Se eu usar mãos, é porque o amor é cego." / "Si j'utilise les mains, c'est que l'amour est aveugle."
Proverbe brésilien
Il y a des petites habitudes dont on ne se lasse pas, dont on sait qu'elles rendent jaloux, mais dont ne pas profiter relèverait de la bêtise pure et dure. J'ai eu beaucoup de temps libre ces derniers mois, et j'ai assez souvent accompagné mon père en voyage. Cette semaine, nous avons passé trois jours à Rio.
Le Brésil est un fantasme chez moi depuis de longues années, sans que j'en identifie véritablement la cause - tout au plus ma rencontre avec C. il y a deux ans a-t-elle renforcé mon désir de le découvrir.
Trois jours c'est court, mais l'excitation le dispute à la frustration, l'intensité à la brièveté.
Il fait chaud, cet air moite des Tropiques qui ne vous lâche pas. Nous allons nous gaver dans un rodizio, ce restaurant à la formule unique : buffet à volonté plus des dizaines et des dizaines de morceaux de viandes que les serveurs vous proposent les uns après les autres à votre table, que vous acceptez ou que vous refusez. Un petit carton rouge d'un côté vert de l'autre vous sert à leur indiquer si vous en voulez encore ou non. Le tout arrosé de caïpi, avant, pendant, après. Il est quatre heures du matin en France, nous ne tenons plus, d'autant que le lundi soir n'est pas le moment le plus festif de la semaine, même à Rio - dodo.
Petit déjeuner sur la terrasse de l'hôtel, à la pointe de Copacabana, côté Ipanema. Le soleil tape, la vue est jouissive.
On se met en route le long de la plage, on remonte vers le nord, admirant les vieux qui volleyent (peu de foot, étonnamment), les pauvres qui font des châteaux de sable et les vendeurs à la sauvette qui vendent à la sauvette. On paranoïse un chouilla sur les recommandations sécuritaires : pas d'objet de valeur ostensiblement en vue - les histoires fréquentes d'agression font un peu froid dans le dos.
Nous empruntons le métro, propre, moderne et à l'épreuve de toute forme de parisianisme : les Brésiliens se parlent, communiquent sans se connaître. Nous bénéficierons de cette chaleur et de cette gentillesse, en permanence, comme ce beau jeune homme qui spontanément nous indique notre chemin sans que nous lui demandions de l'aide, simplement parce qu'il nous voit empêtrés avec nous-mêmes.
Oui, les Brésiliens sont beaux. D'une beauté absolue, totale, renversante, unique.
Plus tard ce jour, après avoir pris le "bonde", petit tram jaune typique, qui nous a conduits du Centro (en reconstruction pour le Mondial 2014 et les JO 2016) à Santa Teresa, quartier perché aux manoirs abandonnés qui mène droit aux favelas, où les coulées de boue et les éboulements sont bien visibles, et où une jeune fille nous voyant marcher d'un bon pas nous recommande assez fermement dans un anglais approximatif de rebrousser chemin avec nos bonnes têtes de "gars pas d'ici"... Après nous être perdus dans Santa Teresa donc, après avoir savouré les couleurs de Lapa... Plus tard ce jour, après ces délices brésiliens les yeux grand écarquillés, nous arrivons, difficilement, le long d'une voie rapide, au Pain de sucre.
Et je vous parlais de la beauté brésilienne. La beauté des Brésiliens. Pas de ce petit singe étrange en voie de disparition qui saute de table en table. Plutôt de ce vendeur de bijoux en costume que je mate, absolument pas discrètement, pendant que mon père achète à manger. Je me rends aux toilettes derrière la boutique, subtil déplacement qui me permet de passer devant la vitrine et de décocher ce que j'espère être un sourire mutin irrésistible. Je ne pensais pas être aussi doué en la matière, en tout cas le jeune vendeur me suit aux toilettes. L'espace d'une seconde, je nous vois faire sauvagement l'amour dans l'une des cabines exiguës. Mais nous ne sommes pas seuls. Je sors et l'attends devant la porte en faisant mine d'admirer la vue. Le voilà qui sort à son tour et s'accoude également à la rambarde, l'air de rien. J'engage la conversation : "What time is it?" A son tour de décocher un sourire brésilien à tomber par terre. Nous discutons avec D. des banalités inhérentes à ce genre de rencontre, avant que je lui demande de me sortir le soir, mon "dernier soir"... Il accepte, rendez-vous est pris.
Au Pain de sucre, les Français sont partout, c'est effrayant, mais tout heureux d'avoir déniché mon Brésilien du séjour et des perspectives de la soirée, je ne râle même pas, alors que je suis plutôt d'habitude d'une mauvaise foi totale à ce sujet et que j'exècre les nids de Français à l'étranger.
Il fait nuit, nous sirotons les habituelles caïpirinhas dans une guérite de Copacabana, sur la plage. Un club de natation danse et chante bruyamment pour célébrer son premier anniversaire. Des Brésiliennes que je ne qualifierais pas de jolies mais encore une fois chaleureuses nous invitent dans la danse. C'est l'hilarité générale, de notre côté comme du leur. La ronde est un peu barrée - surtout je ne comprends pas un mot de portugais et elles ne parlent pas anglais. C'est frais, c'est amusant, c'est une jolie rencontre. Je suis surpris de voir peu de plantureuses beautés féminines proches des clichés, mais plus des femmes grassouillettes qui me font penser à beaucoup de Mexicaines en Californie.
Aussi, au Brésil il est traître de se rendre compte que la majorité des gens que vous rencontrez comprennent parfaitement l'espagnol, mais ont systématiquement ce regard déçu ou réprobateur de voir que vous ne parlez pas leur langue. Ainsi chez moi la facilité de s'exprimer dans la langue ibérique laisse place à un trop fort sentiment d'inconfort et je préfère marmonner des bribes d'un semblant de portugais mâtiné d'anglais, par respect pour eux.
Le lendemain matin, notre chauffeur de taxi s'échinera à s'exprimer très fort en portugais, et nous nous obstinerons à répondre en français, prétendant chacun de notre côté comprendre ce que l'autre dit.
Mais retour au mardi soir : après les caïpis et la danse sur la plage j'abandonne mon père et ses collègues à leur dîner, j'avale un misérable club sandwich au bar de l'hôtel et je retrouve mon date, puisqu'il a tout l'air d'en être un. Très original, à nouveau caïpis sur la plage. Nous discutons. Pas de mystère, nous sommes gays tous les deux (quelle surprise !), même si D. n'a pas l'air très à l'aise sur ce sujet. Il me demande comment "ça" se passe en France, me confie que son petit frère est gay aussi, qu'ils vivent avec leur mère au nord de la ville. Il m'explique aussi que son seul salaire les fait vivre tous les trois.
Les choses étant mises au clair, nous nous dirigeons vers la seule boîte gay ouverte un mardi soir, celle-là même que mes amis me déconseillaient absolument. Mais nous faisons avec ce que nous avons. Le Boy est un grand endroit à la musique pas franchement palpitante. Je n'ai qu'un bref aperçu de la population, au bout de cinq minutes nous nous embrassons goulûment sur un canapé comme deux collégiens en rut. Nous y passons toute la soirée.
Il vit chez sa mère, je dors avec mon père, nous devrions nous arrêter là. D'autant que je m'effondre peu à peu dans ses bras, un mélange d'alcool, de fatigue et de bien-être. Notre besoin réciproque de câlinements, qui s'exprime si naturellement malgré les différences de culture et de langue, me fait fondre d'attendrissement. Mais il finit par me raccompagner à l'hôtel et je m'en trouve revigoré, je décide que nous ferons l'amour sur le sol, derrière le bar de la piscine. Lui qui est natif de Rio et un peu plus âgé, qui avait pris les choses en main jusque là, se retrouve tétanisé. "I'm so nervous, I'm so nervous!" Je le rassure et je l'embrasse encore.
Le mercredi matin, le survol de Rio en hélicoptère est bluffant, surtout son apothéose, lorsque nous ne sommes qu'à quelques mètres du Corcovado, le Christ rédempteur de 38 mètres de haut qui domine la ville. D'autant plus apprécié que l'accès à la statue est condamné depuis les intempéries de la semaine précédente.
La conclusion de ce mini séjour se fait au creux des vagues, en "eaux dangereuses", la signification d'Ipanema. Les courants sont impressionnants, mais l'eau est chaude, et la sieste sur la plage un délice dont on ne peut décemment se lasser. Nous buvons notre délicieux açaï com banana et nous nous préparons pour le vol retour.
Les hommes sont beaux, certains qui ne remarqueraient même pas mon existence en France se retournent pour me regarder, je me souviens de ce que C. disait à propos du succès des Français au Brésil. Et bien c'est parfait, je suis prêt à épouser un Brésilien.
Dans le bus qui nous conduit à l'aéroport, je ne peux m'empêcher de penser à l'accident du vol Rio-Paris de juin dernier. Même vol, même avion. Petite bouffée d'angoisse en imaginant ces passagers se préparer à l'embarquement comme nous, sans se douter du sort tragique qui les attend quelques heures plus tard. Je décide d'adopter un comportement brésilien : les 200 morts dans les favelas à cause des intempéries ont choqué les Cariocas (doux patronyme des habitants de Rio), mais ils continuent de rire et de danser. Pas d'apitoiement, pas de misérabilisme. Ils ont bien raison.
Comme à chaque voyage, les pensées s'égarent dans une douce mélancolie (la saudade), et je me fantasme retournant là-bas avec mes amis.
Après le décollage, assis dans le cockpit que seuls les multiples boutons de contrôle éclairent, enveloppé dans l'encre noire de la nuit et bercé par le ronflement de l'avion qui la traverse sereinement, je colle mon front au hublot et je regarde les étoiles. Mes yeux se perdent dans l'infini sombre du ciel, la sensation est incomparable.
Puis brusquement les pilotes rallument la cabine. Les moments de joie ne durent jamais.
Je vais apprendre le portugais.
5 commentaires:
Et moi je conserve le plaisir de Lire Arthur même si ces moments là ne durent jamais :)
Oooh le voyage de dingue génial !!! ;))) Thumbs up pour tout ça !!
Et tu as raison pour le portugais, c'est une langue vraiment magnifique à mon avis. ;)
Waouh.
C'est mignon!
C.
Merci pour ce récit de voyage, c super, et TRES belle plume ;)
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