vendredi 6 février 2009

Des ouvertures et de leur absence

La rue est bondée, sombre et étroite. Là-bas, tout au bout, il se dresse dans toute sa grandeur menaçante, torpillé par les milliers de flocons épais et déchaînés qui l'enveloppent dans la furie et le froid de ce soir d'hiver. L'Empire State Building n'est pas seul à se retrouver enneigé - New York est prise dans une tempête glaciale, furieuse et ininterrompue, que nous observons passivement derrière les larges vitres du dix-huitième étage. Le lendemain pourtant, à ce même endroit, à ce même moment, c'est le soleil déclinant qui embrasera la pièce avant de disparaître dans l'Hudson pour noyer la fin d'après-midi dans l'obscurité.

La neige et le coucher de soleil, la froide luminosité de février et la glaciale nuit new-yorkaise - je me trouve sur mon lieu de travail, mais ce n'est pas depuis mon bureau que j'observe ce fatras climatique. Mon bureau se trouve dépourvu de toute fenêtre. Nous sommes trois à occuper la petite pièce blafardée par des néons améliorés. C'est mauvais pour le teint. Je profite donc de chaque seconde de la pause de mi-journée, et je me rends à pied audit bureau - quinze degrés sous zéro certes, mais un air vif et un ciel resplendissant, imperturbablement bleu, qui laisse la part belle aux divagations de pensées diverses et matinales.
Et puis ce stage démarre plutôt bien - en l'absence de mon cher boss déjà très apprécié, j'occupe son bureau (m'endors même dans son fauteuil) et regarde des petits bijoux indépendants évidemment inédits, avant de proposer mes idées pour en créer la bande-annonce. On a connu pire. Je jouis en fait de manière assez inattendue d'une considération assez impressionnante. Sans savoir s'il s'agit de mes expériences précédentes, de ma French touch ou des recommandations dont je bénéficie, il y a quelque chose qui me place sans conteste au-dessus de ma collègue stagiaire, par exemple. Laquelle me déteste, noyée dans ses Fedex et ses tableaux Excel absolument inutiles. C'est très bien comme ça ma foi ! J'apprends à ignorer l'affectif professionnel, me fichant éperdument, une fois n'est pas coutume, de savoir qui m'aime et qui ne m'aime pas, et ne cherchant pas de mon côté à apprécier tout un chacun. Tant mieux, parce que ça ne serait pas possible. Il est difficile de tisser des liens amicaux sincères avec les Américains, mais ce fléau ne se trouve qu'exacerbé au sein de l'entreprise. L'hypocrisie semble de mise dans la majorité des interactions personnelles, et il ne se passe pas un déjeuner sans que chacun soit rivé à son écran d'ordinateur. Trop cliché pour être séduisant; l'adaptation au monde bureautique version Oncle Sam est délicate. C'est ainsi que je pars seul chercher la fraîcheur de l'air et l'éclat de la lumière qui me manquent tant le reste de la journée.

Ce problème de fenêtre est également répandu dans les chambres que l'on peut trouver à louer à Manhattan. Il est par exemple présent dans un appartement situé au croisement de la douzième rue et de la première avenue, dans l'East Village. Mon bureau n'a pas de fenêtre, ma chambre n'a pas de fenêtre. Ca commence à faire beaucoup. Mais on ne peut pas tellement dire que je regrette. C'était ma quinzième visite (littéralement) et je n'en pouvais plus. Pourtant ce n'est pas la précipitation qui a commandé à mon choix de dimanche soir dernier, mais bien la réflexion, la logique et le compromis. Le compromis, oui, le meilleur que j'aie trouvé en croisant des données aussi diverses que la situation géographique, le prix, la taille de l'appartement et les colocataires. Rien d'extraordinaire donc, mais une chambre de taille correcte, meublée sommairement, excellemment située, à un prix raisonnable et avec des compagnons d'appartement relativement vivables, ne serait-ce leur saleté basique de mâles vingtenaires caricaturaux (je ne suis plus à un poil près dans la baignoire.) Avec quelques photos au mur, une petite table et une couette digne de ce nom, il se pourrait même que la chambre soit charmante. Quand les beaux (chauds) jours seront là, il se pourrait même (bis) que je ne puisse plus me passer de notre terrasse privée sur le toit dotée d'une sympathique vue de Downtown. En attendant, je reconnais que c'est l'incertitude qui préside. Je peux enfin poser mes valises, et moi avec, dans un endroit que je peux nommer "chez moi", mais j'ai la sensation que ça ne sera que temporaire (un mois ? Trois mois ?) Ne serait-ce que parce que l'absence de fenêtre, donc de climatisation, compromet toute possibilité de dormir décemment durant les mois d'été new-yorkais dégoulinants de chaleur et de moiteur.

Rien de bien grave ceci dit. En fait, là où le bât blesse, c'est au niveau des fluctuations. Celles du moral. Le lunatisme, à ce niveau-là, est très fatiguant depuis une semaine. Loin de moi l'idée de râler honteusement à propos de ma situation - pourtant cette mise en route new-yorkaise est plutôt éloignée de l'idylle sans anicroches, et a même ses aspects très pénibles. J'ai une pêche d'enfer, puis le moral dans les chaussettes, sans raison évidente - je vous assure que c'est épuisant. J'ai d'ailleurs écrit des mails à des amis à quelques heures d'intervalles, certains se trouvant assurés de mon bien-être, d'autres alertés de ma détresse. La quête de la chambre a été difficile lorsqu'il s'est agi de passer de longues journées seul dehors à visiter des taudis, venant d'une auberge de jeunesse à la propreté et à l'intimité discutables, certainement pas un "chez soi". A présent que je l'ai trouvée, cette chambre, je ne suis donc toujours pas pleinement satisfait. Professionnellement non plus au passage, ne nous méprenons pas (oui oui, je râle jusqu'au bout, absolument !) Aussi intéressantes des tâches éparses puissent-elles être, comme celles évoquées plus haut, le métier même auquel je me destine tête baissée de stage en stage depuis trois ans, préparant un concours prestigieux à ce propos début avril, me rend en ce moment plutôt circonspect. Je crois que mes seules certitudes sont d'aimer voir des films (et je m'y noie en ce moment, niant toute réalité hors pellicule), et d'aimer griffonner, gribouiller, raturer, lister, rédiger, raconter, (d)écrire, échanger, aiguiller, conseiller. Non, je ne me vois pas critique cinéma, allez savoir pourquoi.

Oh, il semble que ces tergiversations multiples, négatives et absolument totales, ne soient que le fruit de ce nouveau départ, que j'ai incontestablement sous-estimé. Après cette première semaine de vie dans la ville de mes rêves, c'est la pénibilité de New York qui m'apparaît, sa dureté, son intransigeance ferme et définitive. C'est bien simple, je crois que je ne me suis jamais senti aussi seul. La solitude est terrible, et d'autant plus lorsque la vie sociale bat son plein, démarre sur les chapeaux de roues, pétille à merveille de soirée en soirée. Pas une minute à moi, des gens à voir partout, tout le temps - beaucoup de bonheur amical. C. et V. & S. ont été les crèmes parfaites de ces premières journées, m'aidant, me sortant, me conseillant et m'entourant juste comme il l'a fallu - je ne les remercierai jamais assez.
C'est donc le comble alors, de se sentir si seul. Je n'aurais jamais cru ça de cette ville, ni n'aurais pensé overdoser si tôt de l'Amérique (je suis de moins en moins indulgent avec ses charmants habitants.) Serait-ce la fois de trop ?
Bien sûr que non - ce négativisme vaut pour beaucoup de ressentis diffus, épars, changeants selon les heures de la journée; et surtout pour l'expiation d'un mal-être récent, bien réel. Le blues du choc du redémarrage, voilà tout - la mise en route se poursuit, et tout va se mettre en place paisiblement. J'ai besoin de ces envolées lyriques - à moi et à moi seul de me foutre le coup de pied au cul nécessaire pour tout reprendre, de provoquer les choses, de m'amuser. Ah ! ma petite New York, tu me déstabilises, pour la première fois avec toi je me sens déraciné comme je ne l'ai probablement jamais été. J'imagine qu'il n'en sortira que du positif.
En attendant, tout ça manque simplement de fenêtres - à moi d'aller chercher beaucoup d'air et un peu de lumière.

11 commentaires:

Lucie a dit…

J'ai l'impression de m'entendre dans ce que tu racontes Arthur, c'est formidable, et donc je te comprends pleinement ! Etre dans une ville comme ça avec toute sa réputation et son charme international pourrait faire croire que le bonheur à s'y trouver est incontestable. Mais comme tu dis, il est parfois dur de se donner le "coup de pied" au cul pour sortir, rencontrer des gens,...je sais de quoi je parle !
Alors même si le moral est parfois dans les chaussettes on se dit qu'on a pas trop le droit de râler, qu'il y a des situations un peu plus désagréables, mais que, quand même, il manque un petit quelque chose pour que ça pétille tous les jours...!
Je t'embrasse et pense à toi bien fort. :)

'Lu

Anonyme a dit…

Je pense que New-York fait partie de ces villes dont on tombe amoureux comme d’une personne. Ou en tout cas avec laquelle on a des attachements/réactions assez semblables à ceux que l’on peut avoir dans une histoire de cœur avec quelqu’un.
(c’est peut-être également le cas de Barcelonne –Lucie, tu me confirmeras, je ne connais pas– , probablement pas le cas de Roubaix par contre, par exemple…)
Je vais parler de New-York parce que j’ai entendu beaucoup de choses à son sujet et elles semblaient confirmer cette idée.
J’ai souvent entendu des potes me rendre visite en me disant « ouah, c’est génial, c’est une ville super, j’ai passé un moment extra, par contre, je ne pourrais pas y vivre », un peu comme un mec qu’on trouverait très très mignon, mais avec lequel on sait pertinemment que ça ne marcherait pas.
On sait que la ville est comme ça : elle est très séduisante au départ. Presque aguicheuse. C’est un vrai plaisir des yeux, elle a l’air d’avoir un charme fou, beaucoup de caractère. De la conversation…
Mais en fait, ce n’est pas si simple. Si on essaie de la connaître un peu sur la longueur, on apprend qu’elle a aussi son caractère. Qu’elle peut-être très ingrate. Qu’il faut faire des efforts (et souvent des efforts financiers, ou alors il faut apprendre à être créatif) pour pouvoir continuer à faire vivre la Love Story.
Si ça, ce n’est pas proche du discours d’une relation amoureuse ?
Ce que je veux dire c’est que remis dans un tel contexte, ce n’est pas du tout surprenant que tu sois dans un tel état. Tu es dans la période où tu doutes un peu d’avoir franchi le pas. Non pas tellement une routine qui s’installe, mais plutôt les petits défauts insoupçonnés qui se révèlent.
Mais tu le sais sans doute, c’est en réussissant à passer cette étape que tu t’y attacheras véritablement. Il va falloir du temps, de la patience et des efforts. Mais ça peut valoir le coup. Et c’est ces petits défauts-là qui vont vraiment te rendre amoureux, et pas seulement les premières très belle simages.

Vincent a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Vincent a dit…

C'est si joliment dit par Gyom et tellement vrai ! Ne t'en fais pas, comme je te l'ai dit, cela m'est arrive aussi. Ce n'est que le moment ou tu decouvres New York comme ce qu'elle est et non plus comme la carte postale de tes vacances et de tes sorties. Encore maintenant elle me fait suer assez souvent mais au final, elle est superbe.

Anonyme a dit…

C'est un peu logique, et tu le sais bien, ce premier coup de blues. C'est tout de même un sacré choc que de partir vivre un temps à NYC. On la croit proche de Paris, mais comme l'indique Gyom (qu'il est intelligent ce garçon, hihi) c'est comme Paris, une ville dans laquelle il n'est pas évident de s'installer.

Bon mais rien que de très normal. Donc tu vas te prendre quelques doses de spleen, mais ça va vite se compenser par les super expériences que tu vas avoir (Oh là là !). :-)))

En tout cas, on t'envoie plein de bisous de soutien ! :))

Unknown a dit…

Le pire c'est que lorsque tu reviendras, tu touveras que Paris est trop petit, que ça bouge pas, que les comédies musicales ici sont à gerber (bon ok on le pensait déjà), que les magasins sont toujours fermés, que Central Park à Vincennes c'est pas très central et que tout le monde a l'ir un peu trop maigre à côté des 5 kilos que tu as pris là-bas :)

Allez bonhomme go go go....

Anonyme a dit…

Je ne peux pas te faire part de mon expérience new yorkaise :-( mais je peux te dire que je pense bien à toi!!
Take care!
Je t'écris très vite
Je t'embrasse

Benja!

Unknown a dit…

L'euphorie du départ, le grand pas que l'on saute,les illusions que l'on perd, la déception de l'image que l'on s'en était fait ou des souvenirs exacerbés que l'on a gardé!Mais le temps,lui est là pour appaiser tout ces maux d"un changement radical de vie, de pays, de moeurs...
Pour avoir vécu 1 an aux US, et pas dans le meilleur coin, (Wisconsin! génial), il a fallu que je serre les dents pour aller au bout de ce que je voulais.Finalement, j'ai tenu le choc malgré tout,même si ça n'a pas été du tout facile,je n'en suis ressortie que plus grandie.Alors oui, les départs sont difficiles, mais le temps, lui, fait bien les choses.
Ne jamais oublier pourquoi on a fait ce choix, et pourquoi on le fait.Rien n'est jamais acquis et il faut parfois en baver un tout petit peu, passer par ses phases de remises en question, pour enfin aller vers ce que l'on souhaite.
LA vie NY est trépidante certes, mais tellement de superflu!On est super entouré, mais au fond tellement seul, personne ne comprend ce que l'on ressent...Et oui, c'est aussi ça le dépaysement.
D'ici quelques temps tu trouveras ton équilibre, mais il faut te laisser un peu de temps.Je suis sure que tu trouveras la chambre baignée de lumière ou tu aspiras à un peu plus de serenity.
So keep going on and don't drag yourself down.
Take good care of you,
Bunch of kisses dear.
XXX

Anonyme a dit…

Courage, tout fluctue. And there is nothing to feel guilty about. Alors ne t'interdis rien.
On pense tous a toi.
Xxx

Charles a dit…

Je pense à toi. Tu me manques dans cette période que j'ai l'impression de vivre pareillement de mon côté. Vivement le soleil que l'on puisse ouvrir nos fenêtres!
Je t'embrasse

Arthur a dit…

@ tous > Merci pour vos beaux commentaires pleins de réconfort et vos mots si justes mes amis :)
Le nouveau billet devrait vous montrer que petit à petit l'oiseau fait son nid... A très vite, je vous embrasse.