Cannes, le festival, toute cette pression
C’est un moment indescriptible, sans doute davantage si vous l’avez suivi sur le petit écran des années durant en bavant littéralement devant.
Nous entrons du même côté que les voitures officielles. Premier barrage pour contrôler accréditation et invitation. Et nous empruntons l’étroite allée piétonnière encadrée de barrières blanches, alors que les berlines aux vitres teintées arrivent doucement mais sûrement au pied des marches, tout là-bas. La foule est agglutinée de part et d’autre de la chaussée, et cette foule-là est forcément envieuse. Il fait chaud – pour la séance de 19h30, le soleil brille encore, et le nœud papillon serre très fort nos petits cous qui palpitent. Deuxième contrôle des précieux sésames aux abords du Palais. « Le Palais », le seul, l’unique Palais des Festivals. Tout le monde est très beau, les automobiles défilent et livrent leurs flots de personnalités en pâture aux cris des photographes et aux hurlements des badauds. Le rouge est vif, la carpette semble faire des kilomètres, et tout le monde a l’air de nous attendre. J’imagine que c’est ce que l’on ressent inévitablement la première fois. Nous parcourons ledit tapis rouge, savourant chaque seconde, puis nous gravissons les marches. « Les marches », « les marches rouges » comme on dit pour désigner l’accès officiel au Palais. Et tout cela va vraiment très vite, bien plus que nous ne le voudrions. La chaude folie de l’extérieur s’estompe, nous nous installons dans la salle, le Grand Théâtre Lumière de son vrai nom.
Un peu plus tard, après que nous ayons suivi le reste des arrivées protocolaires en direct sur un écran de taille moyenne, celui-ci est remonté dans les cintres de la scène, et la voix officielle du Festival nous demande, en français puis en anglais, de prendre place "car la séance va commencer." Nous sommes également priés de ne pas utiliser nos téléphones mobiles. La lumière décline progressivement alors qu’en parfaite harmonie le rideau noir qui dissimule le grand écran s’ouvre majestueusement. Le « générique » officiel du Festival s’enclenche, frissonnante montée des marches virtuelle de l’océan vers le soleil. Au sommet, le logo doré du Festival. Le tout sur une musique de Saint-Saëns extraite du Carnaval des animaux. A ce stade de la soirée, on n’est déjà pas loin de l’orgasme. Le rideau est grand ouvert, l’écran immense, et les flashes ont crépité lorsqu’est apparue la Palme dorée sur l’écran. Les applaudissements aussi, qui vont se poursuivre avec chaque logo des producteurs, distributeurs et vendeurs internationaux du film que nous nous apprêtons à voir. La rumeur se tait, les deux mille trois cent quarante spectateurs de l’auditorium respectent un silence précieux et inégalé. Le film commence.
Mardi, fin d’après-midi, je vous écris depuis la terrasse du Palais. Le soleil chauffe encore. A ma gauche, la Croisette, en face la Méditerranée veloutée et sa flotte de yachts tous plus imposants les uns que les autres. A droite, le Vieux-Port et la vieille ville. On a connu pire endroit pour « travailler ». Cannes frémit chaque année pendant dix jours au rythme des 130 000 festivaliers et visiteurs qui viennent grossir sa population initiale de 70 000 habitants.
Beaucoup de festivaliers sont très désagréablement et sans raison valable imbus d'eux-mêmes, et l'on constate aussi que c'est la folie cinq fois par jour aux abords du Palais lorsque les spectateurs non badgés cherchent désespérément une invitation. D'ailleurs, la foule autour des marches est réellement bigarée, entre festivaliers sérieux, endimanchés, touristes paumés ou chasseurs de stars effrénés. Cannes c'est aussi des dizaines de personnes que l'on connaît de près ou de loin et que l'on croise sciemment ou par pur hasard. C'est vraiment le plus grand rendez-vous du cinéma, et "ils" sont tous là !
Et puis il y a la mer, son air vivifiant et le soleil dardant. Il y a donc aussi la crème solaire qui parfume étrangement un costard qu'on a du mal à imaginer en vacances...
De mon côté, je travaille d'ailleurs peu il faut bien le dire – je profite pleinement de cette fleur tant attendue que « m’offre » mon cher boss. Les guillemets sont là pour souligner que les charges financières me reviennent, mais nous dirons que j’ai su me débrouiller pour les minimiser. Ce que m’offre ma chère compagnie new-yorkaise, c’est la fameuse accréditation.
Je travaille peu, je dors peu et je mange peu. Mais je vois des films, et c’est bien là la principal. En se débrouillant bien il devient même plutôt simple de récupérer les invitations pour les séances officielles comme celle que j’ai décrite plus haut. Pour le reste, mon cher badge, toujours lui, me donne accès à la dizaine d’autres salles de la ville où sont projetés en séances spéciales ou le lendemain les films de la sélection officielle (Compétition, Hors compétition, Séances spéciales, Un certain regard) et des sections parallèles (la Quinzaine des Réalisateurs et la Semaine de la Critique principalement.)
« Bien se débrouiller » revient à récupérer des invitations via ma propre accréditation, mais à mon humble niveau j’ai surtout accès aux films les moins courus et les moins stars de la compète – pour autant aussi bons que les autres bien sûr…
« Bien se débrouiller » c’est aussi du coup dans ce cas-là connaître des gens. Et là, c’est l’avantage d’avoir trois ans de stages et expériences divers accumulés derrière soi, car le réseau, souvent amical d’ailleurs, est heureux d’aider. J’ai donc réussi à voir seize des vingt films projetés en compétition, sans compter quelques autres des sections parallèles.
Et en cette fin de festival il est très excitant de pronostiquer.
Avec mes chers acolytes B. et J.-B. nous décrétons que le Haneke (Le ruban blanc) est un chef-d’œuvre fascinant qui mérite la Palme et auquel Isa ne devrait pas rester insensible, malgré les potentiels stupides risques d’accusations de copinage au vu de sa proximité avec le réalisateur autrichien.
Antichrist de Von Trier nous hante toujours cinq jours après la projection, et nous le verrions bien repartir avec le Grand Prix.
La mise en scène reviendrait à Audiard l’immense et son bouleversant Prophète – et le prix d’interprétation pour l’exceptionnel Tahar Rahim (et pourquoi pas un doublé avec Niels Arestrup ?) De ce côté-là, les deux seuls concurrents potentiels (et encore…) seraient Christophe Waltz, génial colonel SS de l’excitant Inglorious Basterds de Tarantino, et André Dussollier dans les mauvaises Herbes folles d’Alain Resnais.
Le prix d’interprétation féminine pour Charlotte Gainsbourg dans Antichrist – mais la jeune Katie Jarvis du très bon Fish Tank d’Andrea Arnold est une sérieuse concurrente; Abbie Cornish dans Bright Star de Jane Campion aussi, mais là le film m’a personnellement gonflé. Sans oublier Giovanna Mezzogiorno, impressionnante en maîtresse abandonnée de Mussolini dans le Vincere de Marco Bellocchio.
Enfin, le prix du scénario pourrait échoir à Ken Loach et sa déroutante comédie réussie Looking for Eric.
Je n’ai pas vu Kinatay de Brillante Mendoza mais B. et J.-B. pensent qu’il ferait un bon Prix du Jury.
Le seul hic avec ce palmarès potentiel, si l’on en croit les échos glanés sur la Croisette, concerne Le temps qu’il reste d’Elia Suleiman. Chouchou de la critique depuis les projos de vendredi, on voit de plus en plus mal comment il ne figurerait pas au tableau final – mais nous n’avons pas aimé (j’ai même beaucoup dormi.) De là à croiser les doigts pour un effet Bachir (le film attendu qui repart bredouille, sauf que pour Ari Folman c’était un scandale, alors que ce serait cette année avec Suleiman fort bienvenu) – il n’y a qu’un pas…
A part ça ? Quid des autres films en compète que je n’aurais pas mentionnés ci-dessus ? Faisons simple et sobre : Nuits d’ivresse printanière de Lou Ye est très bon ; Thirst de Park Chan-wook décevant, tout comme Etreintes brisées d’Almodóvar ; Taking Woodstock d’Ang Lee et A l’origine de Giannoli n’ont selon moi rien à faire en compétition ; Vengeance de Johnnie To est mauvais.
L’impression tenace persiste que sous couvert de grands noms les films proposés cette année sont des œuvres mineures desdits « maîtres ».
Beaucoup de thèmes se recoupent aussi dans plusieurs films de la compétition– et de manière générale ceux-ci sont longs, sanglants et masculins, les femmes y sont violentées et on s'endort souvent cinq-dix minutes par projection (bon ok cette dernière caractéristique m'est tout à fait personnelle...)
Les films sont chapitrés, découpés, on y parle beaucoup de cinéma lors de mises en abyme plus ou moins réussies - certains cinéastes se citent aussi eux-mêmes à outrance, et c'est en général plutôt mauvais.
Côté pipeaules, au-delà des équipes présentes lors des galas auxquels nous assistons (soit celles du Park Chan-wook, du Johnnie To, du Alain Resnais, du Xavier Giannoli, du Michael Haneke et du Terry Gilliam), on croise beaucoup Beigbeder, la blonde Frédérique Bel, Gaspard Ulliel, Hafsia Herzi, Monsieur le sélectionneur Thierry Frémeaux ou encore Claude Lelouch sur la Croisette. A l'ouverture de la Quinzaine, Coppola père est en grande discussion avec Agnès Varda sur la plage du Cha-Cha. Zinedine Soualem, François-Xavier Demaison, Vincent Elbaz et Cédric Klapisch se ressourcent sur le yacht Arte. On aperçoit Tilda Swinton et Quentin Tarantino de loin. On admire Rossy de Palma, on sourit à Anne Consigny, on complimente le beau Tamar Novas et on danse avec Ben Wishaw à la soirée Almodovar. Et côté danse justement, on se trémousse aussi avec Virginie Ledoyen, Simon Abkarian, Jean-Pierre Darroussin, Robinson Stévenin, Lola Naymark, Grégoire Leprince-Ringuet et Adrien Jolivet à la soirée Guédiguian. On croise Harvey Weinstein puis Marion Cotillard aux abords du Majestic, Charlie Winston sur le plateau du Grand Journal, Dominique Besnehard tout pressé ou encore Robin Wright(-Penn ?) harcelée par les paparazzi. Léa Drucker et Edouard Baer nous prennent à partie pour débattre du physique de Robert Pattinson au Zanzibar, mythique lieu de rendez-vous cannois qui se paie même le luxe de figurer dans le Inglorious Basterds de Tarantino... Et connaissant l'amour de Qwentine pour la Croisette ça n'est certainement pas une coïncidence.
8 commentaires:
Ouaaaaaaaah! Quel récit!! merci!
NB : tu portes sacrément bien le smoking! :p
Vivement que Gilles Jacob passe l'arme à gauche et que tu le remplaces, comme ça tu nous inviteras en haut des marches ! :-D
il est venu, il a vu, et on saura ce soir s'il a vaincu....
en attendant, big bisous quand meme
pp (qui a fait de la rétention de colis pr qq temps pr la peine, le coté "do u miss france?" ayant moins d'effet après une semaine cannoise...)
Et du coup, tu pourrais nous en dire un peu plus sur ton "travail", là-bas?...
Pourquoi ai-je l'impression de revivre "Arthur Aux Anges"?
Peut-être ce côté paillettes, soleil, palmier (surtout palmier en fait).
Bon retour dans la grosse pomme
rah là là, c bien beau les paillettes, mais j'en mange déjà au petit dej ! Et les détails croustillants ? où as-tu trouvé ce splendide costume ? as-tu couché avec des stars ? (et c'est qui les deux bo gosses avec toi, j'ai déjà dû en croiser au moins un mais je devais être un peu "fatigué" :-) )
Relecture de ton billet au lendemain de la promulgation des résultats : tu avais vu juste pour pas mal de choses !
@ OneYear > Merci ma chère !
@ Jim > Tu peux compter sur moi.
@ Pp > J'ai un peu vaincu quand même, non ? Bon, j'accepte la rétention, donnant bien peu de nouvelles ces derniers temps...
@ Gyom > Comment ?
@ Tibs > Ben oui, on dira ce qu'on voudra, ce qui fait défaut à Nouillorc, ce sont les palmiers.
@ Matorif > Je suis assez élitiste, je privilégie les belles personnes - pas sûr du tout que tu les ai croisées d'ailleurs, tu as peut-être couché avec en revanche, à l'époque où tu couchais partout tout le temps ? Non ?
@ Tambour Major > Merci, honnêtement ce n'était pas très difficile, pour une fois que j'avais vu les films, mais c'est vrai que je suis plutôt content de moi :)
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