Brooklyn boy(s)
Le post précédent nous a laissés à Brooklyn - restons-y (en quelque sorte.)
C’était un week-end non planifié, ce qui voulait dire beaucoup quand on connaît mon côté control freak. L’idée m’était tout à fait délicieuse après les semaines assez intenses qui venaient de s’écouler (que l’on ne se méprenne pas, je parle d’intensité socialo-alcoolo-trépidante, rien d’autre -cf. post précédent bis.)
Et puis vendredi soir cet ami d’amie que je n’avais pas encore rencontré m’a proposé de le rejoindre au Bowery Hotel pour boire du vin avec ses amis à lui. J’ai accepté avec plaisir. Lui était adorable, le problème a davantage résidé dans son amie parisienne philosophe et dépressive qui avait « tout lâché à Paris » pour sa « nouvelle vie new-yorkaise », et qui voulait « faire n’importe quoi avec moi de temps en temps, des trucs de notre âge quoi », il fallait que je l’appelle, et puis elle avait « plein de copines trop bonnes à me présenter », d’abord. Sur le patio, l'une de leurs amies emballait Jason Segel, la star de Knocked Up, Forgetting Sarah Marshall et le tout récent I Love You, Man. Il y avait aussi ce puant magnat de la mode, franchouillard trentenaire rondouillard dont le seul sujet de conversation était ses amis les pipoles, Kirsten Dunst, Anne Hathaway… Pas Sean Penn en revanche, du coup il n’est pas allé voir Milk vous comprenez. « Ah en plus il fait le pédé Sean dans ce film ? » A un moment où me trouvant près de lui j’ai voulu engager la conversation, je lui ai demandé ce qu’il faisait exactement. « Tu vois avec ma femme on a notre maison de couture et on fait 17 millions de dollars de chiffre d’affaires par an, tu vois, c’est cool. » C’est cool.
Je les ai quittés prématurément, l’amusement social d’observation ayant atteint ses limites. Et puis j’étais attendu ailleurs, A. m’avait entretemps proposé de le rejoindre avec C. et W. Je connaissais peu C., le mec de A., mais j’apprécie énormément ce dernier et il ne s’est quasiment pas passé un jour depuis que nous nous sommes rencontrés sans que nous nous soyions vus. Il est charmant, et drôle, et sympathique, tellement gentil et rempli de vie, c’est un bonheur de hang out avec lui. Et W. est une crème aussi, le genre de mec que tu es content de retrouver aux soirées tu vois. Bref tout ça valait bien une demi-heure de métro pour remonter vers l’Upper West Side, et les retrouver tous les trois à cette soirée française militaire. Française parce qu’organisée par des étudiants bleu-blanc-rouge en coloc’, militaire parce que c’était le thème choisi pour leur soirée. Pourquoi pas ? Grand appartement, terrasse (c’était le premier jour du printemps, ne déconnons pas), et trente Frenchies en treillis et jupes d’infirmières ras-la-foune pour ces dames (c’est vrai qu’infirmière, en soirée militaire ça passe – alors si ça peut permettre de se dévêtir pour aguicher du colonel, et jouer avec les grosses seringues, pourquoi pas !)
A., C. et leur charmante amie M. sont quasiment les seuls Américains. Avec eux, je me fais passer pour tel auprès des Hexagonaux auxquels nous sommes présentés. Nous assistons là à un regroupement assez cliché du Français en groupe à l’étranger, gueulard et mauvais en Anglais. Je me considère hors cette catégorisation, j’observe donc, m’agace un peu mais m’amuse beaucoup au final – ils ne sont pas bien méchants ces compatriotes, juste un peu beaufs pour certains. Et puis nous buvons (ma résolution du jour de me calmer sur l’alcool, pour le bien-être de mon épiderme, de mon foie et de mon compte en banque, aura été de courte durée.) Nous buvons, donc, nous dansons un peu, et rigolons beaucoup. Toujours collés ensemble, A., C., M., W. et moi. Et puis à un moment, nous partons. Je ne sais plus trop d’où c’est venu, mais assez naturellement et spontanément je crois en tout cas, A. et C., qui hébergent leur amie M. pour le week-end me proposent de passer la nuit chez eux moi aussi. C’est beaucoup plus loin que chez moi, ils vivent à Brooklyn, à Prospect Heights. Je n’ai aucune raison d’accepter. Je ne sais plus trop d’où c’est venu, mais assez naturellement et spontanément en tout cas, et avec bonne humeur, j’accepte. Taxi. C’est là que ça commence à tanguer. Un peu d’air, ouvrons la fenêtre. Ce trajet est interminable. Trou noir, je m’endors, ou pass out comme on dit ici. Je me réveille lorsque la voiture s’arrête devant chez eux. Juste le temps d’ouvrir la porte, de sortir, je vomis mes tripes sur le trottoir. A partir de là, toute idée d'une quelconque interaction sexuelle à plusieurs qui aurait pu t’effleurer, lecteur (ne nie pas), et qui nous avait je crois tous un peu effleurés, s’évapore. Pouf, disparue. Le trottoir était un avant-goût, je me vide l’estomac pendant une heure dans leur salle de bains avant d’aller me coucher. Nous dormons tous les trois dans leur lit, leur amie M. dans la chambre d’amie. Et avec le sommeil de plomb auquel nous succombons tous en l’espace de quelques secondes vu notre état, s’opère une douce transition inattendue, pour présider au samedi qui arrive. Nous nous réveillons bourrés, bien sûr. Mais dans la bonne humeur. Ciel bleu, air printanier, soleil de plomb. Brooklyn est calme et sent bon. Douches, ménage, musique à fond, fenêtres ouvertes, rires et sourire, une fille et trois types, comme ça, tous simples, qui se connaissent peu mais ont l'impression de s'estimer beaucoup, déjà.
A ce stade, il faut mentionner mon impétueux besoin de travailler pour le concours que je passe à Paris dans quinze jours - impétueux besoin très lié à l'absence de plans quelconques dudit week-end, en fait. De m'être levé à midi tout imbibé je culpabilise déjà, du coup.
L'ange et le diable sont chacun sur mon épaule, tous deux très à l'oeuvre. Déraisonnable, j'écoute le diable, c'est plus excitant. Et je fais bien. La journée qui suit est faite de petits riens idylliques. Le brunch, la balade dans le parc, la visite du frère, le resto le soir, les préparatifs pour la soirée, encore, toujours. Et les discussions ininterrompues. Il ne se passe rien, mais l'essentiel est là, impalpable et brodé dans la douceur infinie du soleil. Je retrouve cette bulle d'apaisement et d'évidences, hors du temps, hors de New York d'ailleurs. Brooklyn m'apparaît désormais comme un no man's land de petits bonheurs, indispensable.
Je m'attache.