jeudi 23 avril 2009

Tuesday Night and Manhattan

C'était une de ces soirées où le garçon s'était juré de travailler. De ne se consacrer qu'à ça, une bonne fois pour toutes, ou au moins de concrétiser quelque remarquable avancée en la matière. C'était sans compter le stress de son changement d'appartement, qui entama sérieusement le peu de courage qui lui restait. C'était sans compter les nouvelles positives dudit changement d'appartement, qui le poussaient à célébrer - c'était sans compter les usuels appels du pied de ses amis à aller 'danser'. Le garçon les repoussa mollement. Allongé sur son lit à regarder le temps passer, il se laissa couler jusqu'au moment où il était évident qu'il ne se mettrait plus à la tâche. Et où il put accepter l'invitation sans se noyer dans de futiles regrets. Il sortit sous la pluie. Sans parapluie. Le garçon aimait les grosses gouttes qui lui léchaient le visage, elles le réveillaient et elles lavaient en quelque sorte ses angoisses de la journée. Il ignora son corps fatigué et il arriva trempé. Il avait encore à l'esprit l'eau ruisselante dans les caniveaux new-yorkais, les forêts de parapluie à perte de vue le long des avenues et les pas pressés par l'humidité. C'est "lui" qui le sortit de sa torpeur. Son regard perçant plus exactement. Un regard inquisiteur et métallique, terriblement puissant. Et terriblement beau. Le garçon fut pris à part par son ami qui lui révéla un secret chargé de sens sur le porteur de ce regard infini. Insidieusement, il ne lui en tarda que plus de le connaître. Mais lui ne se laissait pas apprivoiser, tantôt froid tantôt simplement fuyant, esquivant le garçon et lui glissant entre les doigts, comme l'eau que l'on veut boire et qu'on ne retient pas. Jusqu'à l'assèchement : le regard et son porteur s'éclipsèrent discrètement. Le garçon fut malgré tout encouragé à les retrouver un peu plus loin. Ses amis l'y poussèrent, le garçon retrouva la pluie et ils cheminèrent tous les trois jusqu'à cet autre lieu que le garçon connaissait bien. Le juke box était là. Et le regard transparent, bleu, à présent amusé, aussi. Mais le garçon aurait dû se méfier - le retrouver ne pouvait vouloir dire mieux le retenir. Et en effet, après une brève poursuite de l'échange entamé en début de soirée, et malgré une proximité grandissante (à son échelle glissante à "lui" du moins), le regard s'éclipsa définitivement. "C'est un gros fiasco !", résuma sobrement l'un des amis du garçon. Il n'eut pas le temps de répondre. Dinah Washington s'était installée. Chantant Manhattan.
Le garçon aima à penser que tout n'était pas manqué - un regard l'avait amené à cette évidence musicale. Il sourit, et laissa la pluie le ramener chez lui.

mercredi 22 avril 2009

Lily!

La première fois, c'était il y a deux ans quasiment jour pour jour. C. m'avait invité au concert d'une radio indy de Los Angeles. Après Rodrigo y Gabriela, Lily Allen était apparue sur scène dans sa robe bouffante toute colorée, accompagnée d'un jazz band qui ne dépareillait pas.

J'avais chaviré. Pour mieux la retrouver à Solidays quelques semaines plus tard toujours si peu farouche, et si agréable à écouter surtout. L'écouter nous chanter, clope au bec et bière à la main, les petites choses de la vie, la sienne et puis la nôtre. Le père absent, le mauvais coup au lit ou la mélancolie d'une rupture, autant d'aspects presque clichés, que son détachement malicieux et sa corrosion acidulée rendent délicieux à l'oreille qui se laisse alors bercer par sa pop douce, mélodieuse et rythmée.

(Attention, spoilers à venir, comme cette superbe setlist qui trône désormais dans ma chambre :))


Lily Allen au Roseland Ballroom de New York c'est donc tout ça à la fois, plus la spontanéité britannique, l'humour vache qui n'épargne personne, et surtout les excellentes chansons de son nouvel album It's Not Me It's YouI Could SayChinese, 22, It's Not Fair, The Fear et bien sûr Fuck You et sa forêt de majeurs dressés contre la bêtise.
Ou encore ma chouchoute de son premier album, Littlest Things (nom originel de ce blog au passage), en acoustique, et teintée d'une jolie émotion.
C'est aussi un concours de dévorage de cheesecake new-yorkais sur scène entre deux heureux prétendants choisis dans le public (croyez bien que je me suis battu) - et c'est enfin Lily qui ose conclure par son excellente reprise de Womanizer, version déchaînée et bien plus efficace, n'ayons pas peur des mots, que la propre conclusion du live de Britney il y a un mois, et oui.
La preuve en images (qui ne sont pas de moi, mais proviennent en revanche toutes du concert new-yorkais de ce lundi 20 avril) :

Le cheesecake


Chinese


Not Fair


The Fear


Womanizer

dimanche 19 avril 2009

Éclosions

Il va se passer quelque chose. La salade va glisser de mes genoux et s’étaler par terre, ou mon bouquin va tremper dans la vinaigrette...
Sur cette chaise baignée du soleil de midi d’Herald Square, l’équilibre est précaire. Mais ça n’a pas de prix. Dorer, lire, manger.
Ah, manger ! Je mange énormément depuis mon retour de Paris, me remplis le bide à retardement, comme des réserves de graisse hivernales qui n’auraient pas bien compris qu’il est trop tard pour hiberner. Malgré tout, c’est beaucoup de humus, et des bagels tous les jours, avec du cream cheese bien sûr.

L’hiver aura été long !
Des constantes se sont accrues depuis le début de l'année, chez la plupart de mes amis et moi-même : un ou plusieurs mémoire(s) à rendre très bientôt et une incapacité monumentale à s'y foutre pour de bon. Des difficultés financières chroniques (rappelez-vous, c'est la crise !) Enfin, une certaine tendance à la saute de moral, à la dépression, au coup de blues récurrent.
La bonne nouvelle, c'est que tout se met à bourgeonner !
Levons le nez, l'hiver est fini.

Herald Square donc. Je déjeune, je lis, je jongle, je ferme les yeux et je ronronne, lézardant sous l'astre brûlant.
Une sorte de brute épaisse, assez effrayante dans son genre, arrose et arrange délicatement les jardinières, les tulipes et les autres fleurs que mon inculture m'empêche de nommer.

Dans l'ascenseur pour remonter au dix-huitième étage, les télés sont allumées en continu, le monde tourne par images et textes saccadés, dans ce petit rectangle suspendu entre le sol et le ciel new-yorkais. L'occasion de se rendre compte que la Terre continue de vibrer. C'est toujours la crise, ce sont les blocages, ce sont les fusillades, c'est la "politique". Ce sont les pirates des temps modernes bien moins sexys qu'il y a quelques siècles.

Les Français quant à eux sont partout, il ne se passe pas un jour sans que j'en croise, où que je me trouve dans la grosse pomme. V. vous en parlerait mieux que moi. Du genre "grosse ou enceinte ?"

Je lève les yeux, les arbres sont en fleurs, l'air est doux, je hume, l'Empire State dépasse au-dessus des branches, colorées de nouveau.
Sur l'escalier de secours juste derrière la fenêtre de ma chambre, le même bel oiseau me salue tous les matins depuis quelques jours. Les jardins de l'East Village bruissent de mille bruits invisibles, ils sentent bon.
Je les double pour rejoindre la Tompkins Branch de la New York Public Library, à deux pas de chez moi. Installé au frais, sur une table basse de la section enfants, je bosse péniblement le court mémoire que je dois rendre dans quinze jours, et qui ne m'inspire pas outre mesure, bien qu'intéressant au demeurant. Le calme des lieux est régénérant, troublé çà et là par la joie printanière des quelques marmots du coin. Je replonge en enfance, les souvenirs affluent, ceux du mercredi après-midi lorsque j'écumais la bibliothèque municipale près de chez moi.

Toutes ces années après, c'est touché et pas peu fier que j'apprends figurer dans la sélection internétique mensuelle de Sensitif, le gratuit gay parisien. Page 6.

Tout reste très incertain : et si je changeais d'appart ? Si je descendais bientôt dans le Sud de la France ? Si je m'y mettais une bonne fois pour toutes ? Si nous ressassions tous moins ?
Finalement les bourgeons qui reviennent, c'est le même cycle que pour le reste - rien de très nouveau sous le soleil, aussi agréable soit-il.

Je suis descendu en fin de semaine à Tribeca récupérer les badges pour le festival. Descente ponctuée d’un Johnny Rockets très Midwest, à deux pas de Washington Square. Je croque dans le burger dégoulinant de gras, assis sur un banc au soleil, toujours lui.
Une jeune fille aux traits fins et coiffée d'un béret pleure. Le parc est empli d'une foule hétéroclite, étudiants, enfants, personnes âgées... Personne ne la remarque. J’ai envie de lui dire de sécher ses larmes, de baigner son visage de lumière.
Mais je sais que parfois le soleil ne suffit pas.