mardi 18 septembre 2007

American Guy (3/7): Tim

C'était le soir d'après ça.
Nous avions décidé d'aller en boîte. En temps normal, une formalité; mais avec deux underage dans les pattes, dont votre humble serviteur, la soirée promettait de revêtir des allures d'expédition junglesque.
Prévoyant, j'avais repéré celles ouvertes aux 18-21 ans. Bizarrement, dans les boîtes gays. Un baptême pour moi en l'occurrence, une excitation décuplée à l'idée de le faire à L.A., ce baptême. Les filles n'y virent pas d'inconvénient. Les homos non plus. Le peu de garçons hétéros qui restait, davantage. Mais après un court instant diplomatique bien préparé, tout le monde ou presque était convaincu - nous allions être nombreux. WeHo, here we came!

Nous investîmes le Rage, rien que ça ! Belle soirée en perspective. Elle le fut.
Bien vite, l'excitation de la "première fois" laissa place à la reprise des habitudes. Un dancefloor est un dancefloor. La découverte, c'était plutôt cette musique résolument gay de bout en bout, et le fait que 99% de la population devait être homo, ou bi (donc homo).
Je me concentrais sur la danse, une priorité (à l'époque) par rapport aux potentielles rencontres ou au bourrage de gueule. Ok, c'est surtout que ce soir-là en cet endroit, il y avait bien peu à se mettre sous la dent. En fait, dans ce pays, ils ont tellement tous une fake ID quand ils sont underage (yeah), que ça marche aussi pour les moins de 18 ans aux soirées 18-21. Comprenez donc qu'il n'y avait que des petits Mexicains de 14 ans. Pas sexys pour deux sous. Pourquoi des Mexicains, je ne sais pas, mais le fait est que ce n'était pas excessivement affriolant.

La soirée passe, on se trémousse, on boit, on se marre.
Et je le vois. Il danse. Il me plaît. Je suis littéralement hypnotisé. Peut-être par contraste avec les autres, certes - mais quand même, en toute objectivité, j'ai trouvé ma target de la soirée.
En six mois californiens, je me suis déjà rendu compte combien il était facile de draguer sous couvert de nationalité française. Et j'ai appris à me désinhiber, à aborder sans paniquer, juste parce qu'une personne me plaît, et qu'il n'y a rien à perdre, jamais.
Mais ce soir-là, blocage intégral. Ma cible est entourée, de tout côté. Amis ou profiteurs, je l'ignore - mais la scène est rédhibitoire. Coincé contre un mur, je ne le lâche pas des yeux, mais je suis incapable de bouger.
Un de mes amis, l'expérience en plus, décide de me donner un coup de main, de me secouer. Il danse avec moi de façon à me pousser contre mon bellâtre. Malheureusement sans que ça me donne pour autant les ailes qui me sauveraient; sans que le bel éphèbe (au moins) ne me remarque davantage. Je regagne mon mur, conscient des regrets qui vont m'étreindre à la sortie, mais résigné. Il n'est pas pour moi, je n'y arrive pas.

A la fin de la chanson suivante, il s'arrête de danser et se dirige vers la terrasse.
Me passe devant, croise mon regard, me sourit.
Je le lui rends, interdit, timide, charmé plus que de raison.
Il m'a souri !!
Il va s'asseoir dehors, seul. N'importe qui se serait précipité. Pas moi. Mode "blocage" oblige... Mon ami, mon ange-gardien devrais-je dire à ce stade, me "prend par les sentiments". Comprenez qu'il se rue à l'extérieur, prêt à aller aborder "mon" mec, ni plus ni moins, juste pour que je me bouge un peu.
Gagné ! Piqué à vif, mon sang ne fait qu'un tour, je le double in extremis quand je comprends son manège, et me retrouve, un peu malgré moi, assis à côté de ma cible.
C'est parti...

"Hi!"; il me répond, je lui demande comment il s'appelle, d'où il vient, ce qu'il fait dans la vie. Au fur et à mesure que je blablate, je me détends, j'apprécie ce qui est en train de se passer. Il veut savoir si je suis gay. Surtout, Tim tique quand je lui dis mon prénom, avec mon pseudo accent américain. J'en profite pour glisser la phrase qui tue, l'anicroche salvatrice, le sésame qui les fait tous (et toutes) tomber. "Sorry, I'm French" (à prononcer avec son plus gros accent, pour un rendement immédiat et maximal !)
Petit sourire de Tim.
La conversation s'épuise, nous nous égosillons pour couvrir les caissons de basse.
Je tente le tout pour le tout, me sentant de plus en plus inconfortable à attendre bêtement qu'il ne se passe rien.
"You wanna dance?"
Palpitations...
Re-sourire à tomber de Tim : "Sure!"
Il se lève et me prend par la main.

Nous dansons, nous tournons, collés l'un à l'autre comme deux collégiens sur un slow, maladroitement enlacés. Nous ne nous arrêtons pas, jamais, nous enchaînant tous les mix suivants, quels qu'ils soient, toujours dans cette même étreinte de plus en plus câline.
Nous sommes perdus très haut, dans une bulle, hors de tout. Nous sommes seuls sur la piste, seuls au monde. Je fonds.
Nos lèvres se cherchent. Nous nous embrassons.

Les boîtes ferment tôt en Californie. 1h30, arrêt de la musique.
Douloureuse sortie de notre douce torpeur. Nous nous sourions, presque gênés.
Il se dirige vers la sortie, je lui arrache son numéro avant qu'il ne m'échappe avec ses amis.
Dans la nuit, il répond à mon texto : "Thanks for the dance..."
L'échange durera quelques jours. Il vit trop loin, n'est pas assez indépendant.
Nous ne nous reverrons pas.

Aujourd'hui, je suis incapable de me rappeler son visage.
Mais l'émoi que Tim provoque encore en moi me trouble, au regard du peu de choses que nous avons vécu.
La soirée s'est suffi à elle-même, intense et unique.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Et finalement n'est ce pas plus mal ainsi ? en garder un chaste souvenir ? non, ce n'est pas de cela que je parle... il est juste question de deux personnes qui se sont enlacées et ont partagé une soirée plus que spéciale, un fantasme à demi-mot... un bonheur simple. ok, j'arrête le côté fleur bleu, je vais agacer. :D

Matorif a dit…

un très joli post pour une bien belle histoire...

Anonyme a dit…

Histoire ordinaire décrite d'une bien jolie façon

Charles a dit…

Au risque de péter le trip, il me semble que la population gay était plus faible que 99%, j'en ai fait les frais...Et si je ne me souviens pas non plus de sa tête, je me rapelle bien que son cul était super laid..ok c'est pas cool, mais quand même ça nous a bien marqué... pour un bel éphèbe!
Très beau post en tout cas, bien réinterprété, pour une très belle soirée inoubliée !!

Anonyme a dit…

J'aurais pu écrire la même chose, avec les mêmes mots ! A croire qu'on vit tous un peu les mêmes histoires...

alix a dit…

beau souvenir qui réveille l'un des miens: en soirée étudiante, invité a danser par un beur splendide au merveilleux sourire, tous les deux émus. douche froide quand mes amis m'ont vu avec lui. je m'en suis écarté brutalement en essayant de donner le change, mettant ça sur le compte des habitudes maghrébines supposées.