Cela va donc faire trois ans que j’ai intégré l’Institut d’Etudes Politiques de Lille – un des neuf membres de la « famille Sciences-Po(t) ».
On m’a souvent demandé, au vu de mes goûts et mes couleurs, ce que j’étais allé foutre dans cette école.
J’ai toujours répondu la même chose : « à l’époque », quand il m’a fallu choisir une voie post-bac, je rêvais déjà de bosser dans le cinéma – le monde du spectacle, des médias et de la culture au sens large. Mais la seule chose concrète que je me voyais faire, après plusieurs années de théâtre, c’était d’être acteur. On aura l’indulgence de ne pas se moquer d’un rêve de gosse – les rêves sont faits pour être réalisés autant que faire se peut. Mes parents me soutenaient, mais privilégiaient quand même le « aies un diplôme d’abord » de circonstance. Et je dois dire que j’étais d’accord avec eux, ne voulant surtout pas me jeter corps et âmes dans les attrapes-couillons de base que peuvent être les « grands » cours privés parisiens, Florent et consorts, où les trois quarts des « diplômés » se retrouvent instantanément au chômage technique. Attention, loin de moi l’idée de vouloir être une star; il s'agit juste du besoin de pouvoir vivre du théâtre, du cinéma, du jeu de comédien/acteur. Or, la concurrence est rude, la chose peu aisée, et ceux qui « réussissent », au sens financier ou médiatique, ne sont pas souvent les plus talentueux.
Bref, j’étais jeune (16 ans), doux rêveur, et plutôt bien entouré et conseillé. J’ai donc décidé de continuer le théâtre amateur tout en poursuivant de « vraies » études.
Sciences-Po, c’était général comme il me fallait, et avec un semblant de prestige quand même – c’était en tout cas considéré comme de « bonnes » études. Pourquoi pas ? Je tentai le concours, me vautrant à Paris mais réussissant à Lille, plutôt haut la main, ce qui me surprit en premier lieu. Et voilà, c’était parti pour cinq ans…
Aujourd’hui, je ne regrette certainement pas cette orientation, mais je méprise clairement mon école.
D’aucuns diront que je crache dans la soupe, et ils n’auront pas tort, mais il n’empêche qu’il y a beaucoup à redire sur les IEP, et surtout une grande nécessité de démythifier leurs cursus, et ainsi éviter dans la mesure du possible que les générations futures se plantent dans leurs études comme nous nous sommes plantés, aveuglés par le sainte lumière palienne (nous sommes des « paliens », c’est notre nom…)
Car c’est bien le problème, je ne suis pas le seul à me plaindre, loin de là – il ne saurait s’agir d’une erreur ponctuelle d’orientation, non. La déception est relativement généralisée, et le mépris pour un certain mode de pensée étiqueté « palien », une administration pitoyable, un « jepèteplushautquemonculisme » pathétique et injustifié ou un environnement d’enseignement globalement risible, se répandent comme une traînée de poudre.
J'ai peut-être acquis une vision globale du monde, mais à trop grands renforts de branlette intellectuelle, et je suis bien incapable aujourd'hui d'approfondir la majorité des sujets que je suis censé maîtriser en surface. C'est très impressionnant à l'apéro, mais quand on arrive au dessert il n'y a plus personne pour argumenter, étayer, renchérir ou contredire. Triste.
Ce qui me pousse à écrire cet article là, maintenant, c'est d'avoir appris que le master sur lequel je lorgnais en 5ème année ("Management des projets culturels") et qui était grosso modo la seule raison pour laquelle j'avais choisi la filière "Economie & Finance" (où on ne fait ni économie ni finance) ...a été supprimé. Fabuleux !
Ce qui me renvoie aux fondements d'une communication intra-école complètement foirée de bout en bout : l'administration dans toute sa splendeur (bien qu'à ce niveau-là je crois qu'on peut généraliser au-delà de l'IEP). Rappelons-nous le cas de deux de mes amis, l'an dernier : l'un était à deux semaines de son départ en Inde pour son année à l'étranger, avion et logement payés, lorsqu'on lui annonça la bouche en coeur que son dossier avait été mal traité et que, malheureusement, il lui faudrait considérer une autre destination. Le second devait aller au Canada anglophone, mais il s'est avéré que l'université qu'on lui avait présentée ne bénéficiait finalement pas d'accords avec l'IEP. Direction Montréal.
Certes, certes, certes, Montréal a plu à Thibaud, et Kevin a profité de Milan, mais ça n'a rien à voir avec leurs choix initiaux, et ça reste du beau foutage de gueule. Et accessoirement les deux exemples les plus probants parmi toute une série de bourdes administratives, au quotidien, dans quelque domaine que ce soit. Et cette façon qu'ils ont de nous prendre de haut, détestable, tout simplement abjecte... Point d'excuses.
Mentionner ces problèmes, c'est quand même reconnaître cet avantage à la filière IEP : l'année à l'étranger, le saint des saints. Là, pour le coup, après celle que j'ai vécue, je ne peux qu'opiner du chef, applaudir à quatre mains et approuver de A à Z. Mais ça ne fait pas tout, reconnaissons-le.
Les cours sont de plus en plus généraux et vides, lus (oui, lus) par des pseudo-énarques terriblement imbus d'eux-mêmes, la vie associative est méprisée, l'administration handicapée (j'en ai déjà parlé peut-être ?)
J'y vais sans doute beaucoup trop fort. Mais je me sais si peu seul à penser de cette manière, que c'en est encourageant (ou plutôt désespérant !)
Je ne vais pas m'arrêter. J'y suis entré, j'ai bien l'intention d'en sortir diplômé.
J'envie juste un peu plus mes quelques amis qui ont l'air dans leur élément dans les études qu'ils ont choisies, qui en littérature, qui en architecture...
Mais je ne les envie pas trop non plus, on a toujours le choix des chemins qu'on emprunte, j'ai choisi le mien, sans regrets.
Il va falloir gérer l'année prochaine, ponctuée de deux rapports de stages, un mémoire, les partiels usuels, et le grand oral de la fin, qui ne s'apparente ni plus ni moins qu'à un vaste questionnement sur toutes les connaissances acquises depuis la naissance, grosso merdo.
Avoir cette masse de travail, on ne va pas s'en plaindre, "travailler c'est bon pour la santé" - c'est juste dommage de n'être pas davantage intéressé par ses propres études (et aussi complètement paradoxal quand on pense aux dix heures de cours hebdomadaires auxquelles nous étions habitués pour les deux premières années. Fabuleuse gestion du cursus et des emplois du temps.)
Donc, non, vraiment, je continue, sans aucun regret, de par les gens rencontrés, la vie étudiante menée, l'année à l'étranger. Zéro regret, un peu d'amertume, beaucoup d'énervement.
Dans deux ans, c'est terminé, que ferai-je ? Nous verrons - le cinéma est toujours là, il attend (même s'il me déçoit ces jours-ci - pour mieux me resurprendre ensuite ?? J'y reviendrai...)
Je suis toujours jeune, doux rêveur, bien entouré, bien conseillé.
L'avenir me sourit, radieux.
Que demande le peuple ?